A l'image
de Vevey
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de Vevey

A l’image de Vevey

A l'image de Vevey

 

Imaginé il y a trente ans, le label Vevey, ville d’images a mis du temps à s’imposer. Même s’il doit être renforcé, il est désormais un atout culturel, touristique et économique pour la cité de 20 000 habitantes et habitants. Le concept est dans l’air du temps : partout en Europe, des villes font le pari de l’art et de la culture pour gagner en notoriété.

En jargon de marketing urbain, une telle ville est appelée événementielle. Sa transformation obéit à un schéma connu ; une ville, comme tant d’autres, jadis prospère grâce à ses industries, se retrouve un jour fort dépourvue lorsque les vents mauvais des crises économiques, du chômage et du déclin démographique commencent à souffler. Pour se rendre à nouveau désirable, la ville ose le pari de l’art, de la culture, d’événements périodiques comme un festival. Miser sur ce capital symbolique, c’est tracer un cercle vertueux entre un surcroît de visiteurs, des retombées économiques, une amélioration d’image, l’attraction de nouveaux habitants, un mieux-être urbain, et un lien social que seule la culture est apte à tisser, en particulier chez les plus jeunes.

Partout en Europe, des villes autrefois laborieuses se sont réinventées pour redonner de l’espoir. C’est le cas dans les régions de la Ruhr et du Nord de la France, par exemple, profondément marquées par la disparition des industries. Des villes grises comme Nantes, Le Havre ou Metz retrouvent peu à peu des couleurs. Avec des succès divers, certes. Car l’expérience le montre : quelques solides conditions sont requises. Le changement structurel demande du temps, l’adhésion de la population, une vision claire et la fidélité à une identité profonde de la ville, cette fidélité étant garante d’une proposition que l’on ne retrouve pas ailleurs.

L’autre identité de Vevey

Ce qui nous amène à Vevey, laquelle a amorcé sa mue culturelle il y a presque trente ans. Dans cette première partie des années 1990, la situation économique est désastreuse. Certes, la ville peut toujours compter sur le géant Nestlé. Mais nombre d’industries de la mécanique, du tabac ou de l’imprimerie sont fermées. Des centaines d’emplois sont perdus, des sites entiers laissés à l’abandon. Dans les journaux, à la télévision, les reportages se multiplient sur «La ville avec le plus haut taux de chômage de Suisse». L’image de Vevey est catastrophique.

L’image, précisément. L’autre identité de Vevey. Dès le début du XVIIIe siècle, la cité se dote de compétences dans l’art graphique, de l’impression d’almanachs aux estampes rousseauistes qui vantent la beauté de la région. La fin du XIXe siècle voit l’ouverture d’un musée des beaux-arts, le Jenisch, ainsi que d’un musée historique. Au milieu du XXe siècle, une école de photographie bientôt mondialement connue prend son élan. C’est l’époque où un génie du 7e art, Charlie Chaplin, s’installe dans la région veveysanne avec sa famille. En 1981, trois ans après la disparition de Chaplin, le Festival international de film de comédie est lancé en son hommage à Vevey.

Ce sont également les premières années du Musée suisse de l’appareil photographique, sur la Grande Place. Son fondateur, Claude-Henry Forney, propose le concept d’une Riviera de l’image. Ce serait une mise en réseau de compétences qui partirait de Lausanne avec le musée de l’Elysée et irait jusqu’à Montreux et son festival télévisuel de la Rose d’Or. L’idée ne prend pas. Mais elle suscite de l’intérêt.

Dont celui du syndic Yves Christen et du secrétaire général de Nestlé Bernard Daniel, par ailleurs président de la société industrielle et commerciale de Vevey. En 1992, tous deux prennent contact avec les successeurs de Claude-Henry Fornay au Musée suisse de l’appareil photographique, Jean-Marc et Pascale Bonnard Yersin. Il ne s’agit plus de penser à l’échelle Lausanne-Montreux, mais à celle de la région veveysanne.

Un nouveau label

Un groupe de travail est mis sur pied. Y figurent notamment Michel Berney, directeur du Centre d’enseignement professionnel dont dépend l’école de photo, et Patrick Henry, directeur de l’office du tourisme. Jean-Marc Yersin avait remarqué que Chalon-sur-Saône, qui accueillait une des principales usines Kodak en Europe ainsi que le musée Niepce de la photographie, se faisait appeler en ces années-là ville d’images.

Va pour le nouveau label veveysan. L’association Vevey ville d’images est portée sur les fonts baptismaux. Elle a comme cahier des charges d’organiser un festival en 1995, année du cinquantenaire de l’école de photographie. Le Festival du film de comédie est toujours un événement couru, mais il peine à entrer dans les cercles des grands festivals de cinéma. Il est de plus endetté à la suite d’une trop fastueuse édition en 1989. Il se tiendra jusqu’en 1996, avant de disparaître en 1999.

Il aura auparavant été partie prenante des deux premières éditions de la Biennale Images Vevey, en 1995 et 1998. Celui-ci conjuguera photographie et cinéma jusqu’en 2012 avant de se concentrer sur la photo et les arts visuels. Les premières éditions du Festival Images, qui adoptent bientôt un rythme biennal, connaissent des fortunes diverses. Les déceptions alternent avec les réussites critiques et populaires.

La manifestation a le mérite d’être la vitrine du label ville d’images, officiellement adopté en 1998. Le concept est aussi arc-bouté sur les musées et l’école de photo. Le changement d’identité urbaine passe par l’abandon de l’ancien logo aux armoiries de la ville et l’adoption d’un nouveau blason conçu par le graphiste Peter Scholl. Une Fondation Vevey Ville d’images est créée en 1999, avec pour tâche principale de soutenir le festival biennal.

Cette fin de décennie est marquée par l’ouverture du SwissMedia Center, un technopôle qui fédère des entreprises et des indépendants actifs dans les nouvelles technologies numériques. Symbole : SwissMedia s’installe dans une ancienne usine de tabac réhabilitée par la Ville de Vevey. Des collectifs d’artistes contemporains comme M/2 et le Toit du Monde, des lieux alternatifs comme les Temps Modernes ou l’Espace Guinguette tirent également parti de locaux laissés vacants par la désindustrialisation. Toutes ces énergies, toutes ces créativités alimentent le nouveau capital symbolique de la ville, ancré dans la culture. Ce capital est en particulier soutenu par Laurent Ballif, syndic de Vevey entre 2006 et 2016.

Le Festival Images

Stefano Stoll, délégué à la culture veveysanne depuis 2004, dirige la Biennale Images Vevey dès l’édition de 2008. Il prend au mot le slogan ville d’images. La scénographie est étendue à l’ensemble du territoire urbain. Parcs et façades, places et rivages lacustres, mais aussi musées et autres espaces intérieurs sont mis à contribution pour afficher des images volontiers monumentales, résolument contemporaines. Gratuit, ludique, participatif, le festival passe dans une autre dimension, aujourd’hui internationale. Le public suit (160 000 visites cumulées en 2020), ainsi que l’adhésion des Veveysannes et Veveysans. Les retombées économiques pour la région sont estimées en 2020 à deux millions de francs.

La Biennale Images Vevey est une structure tripartite. Elle est composée du festival lui-même les années paires et du prix photographique – il existe sous différentes formes depuis 1995- les années impaires. Le Grand Prix Images a lui aussi une notoriété mondiale. Festival et concours sont complétés par l’Espace Images, un lieu d’exposition permanent dont la programmation puise dans les travaux des participants au Grand Prix Images Vevey.

Ainsi vit le label ville d’images. Il aurait pu rester un concept creux, tant le pari du changement d’identité urbaine était audacieux. Il a aujourd’hui une réalité tangible. Reste bien sûr à le faire vivre encore davantage, d’une frange de la ville à l’autre, d’un bout de l’année à l’autre. Soyons-en persuadé : son potentiel est immense. Il est en phase avec les grandes mutations qui contraignent aujourd’hui les villes à se réinventer. Pour le meilleur.

Une scène en constante évolution

Le concept « Vevey, ville d’images » n’a pas de définition ni de limite fixes. Disons simplement qu’il se développe depuis plus de deux décennies pour mettre en valeur des institutions, des événements et des entreprises liés à l’image et à la communication visuelle. C’est un ensemble en évolution constante, aux initiatives de courtes, moyennes ou longues durées. Un exemple : SwissMedia a été fondée en 1995, a inauguré ses locaux en 1997, mais a été déclarée en faillite en 2015. Des collectifs d’artistes et espaces d’expositions ont disparus (M/2, le Toit du Monde, les Temps Modernes), d’autres sont apparus (Les Rats, Einzweidrei, Atelier 20).

De nouveaux événements ont été créés. PictoBello permet depuis 2004 aux dessinateurs de prendre possession des panneaux d’affichages de la ville. Le festival du film de comédie a tiré sa révérence, mais le VIFFF (Vevey International Funny Film Festival) a pris la relève, en intégrant des initiatives originales comme Shortcuts, un concours de film à réaliser en 48h. Le cinéma est également une composante de la troupe théâtrale Trois Petits Points.

Cette mobilité, ce jeu des apparitions-disparitions est le lot des énergies culturelles dans une ville comme Vevey. Energies ? La région veveysanne compte un nombre impressionnant de graphistes, designers web et illustrateurs. Et plus que jamais de photographes, à l’enseigne de Magali Koenig, Corinne Vionnet, Céline Michel, Sébastien Agnetti, Maurice Schobinger ou Edouard Curchod. Sans oublier Jean-Marc Yersin, revenu à sa passion première après trente ans passés à diriger le Musée suisse de l’appareil photographique.

Un label à renforcer

En 2017, neuf mois durant, des états généraux de la culture ont réuni à Vevey des acteurs culturels, ainsi que des représentants des milieux touristique, social, économique, éducatif et politique. Il s’agissait d’imaginer la culture veveysanne de demain. Cette discussion collective a abouti sur un carnet de route, à la fois document de référence et outil de travail pour la Ville. Le carnet distingue des grandes orientations stratégiques, ainsi que des mesures concrètes à prendre jusqu’en 2026.

En ce qui concerne le label ville d’images, le constat est qu’il mérite d’être renforcé. Il devrait être clarifié, plus visible, davantage mis à contribution par les producteurs artistiques. Le label devrait être l’objet d’un plan stratégique qui préciserait son rôle, son périmètre, ses objectifs, ses publics cibles, ses perspectives de développement. Une commission transdisciplinaire devrait définir une politique d’intervention artistique dans l’espace public en adéquation le slogan de la Ville de Vevey. Un pour cent des budgets communaux devrait être dédié aux nouvelles constructions architecturales et rénovation importante pour des interventions artistiques liées au label ville d’images.

Crédits

Texte : Luc Debraine
Photo d’en-tête : Julien Gremaud
Photo Ecole de photo de Vevey : Archives Yves Debraine
Photo M/2 : Luc Debraine
Photo Biennale  Images : Laetitia Gessler
Affiche VIFFF : VIFFF
Couverture du document de politique culturelle : Service de la culture de la Ville de Vevey